Maltraitées et battues : Pourquoi ces femmes 'choisissent' de rester ?
Pourquoi tant de femmes victimes de violences ne parviennent-elles pas à partir ?
C’est une question que beaucoup se posent, souvent avec incompréhension mais généralement avec jugement. Et pourtant, derrière ce choix apparent se cachent des des douleurs, de la peur voire même des blessures anciennes.
Invitée de l’émission Bennet EL FM d’Ismail Ben Aïssa sur Radio Mosaïque FM, la psychologue Farah Tarhouni a apporté un éclairage essentiel sur ce phénomène complexe, où psychologie, histoire personnelle et pression sociale se croisent.
Quand la violence s'infiltre en silence...
Selon la psychologue, la violence ne commence pas avec des coups. Elle s’installe à pas feutrés, masquée derrière des remarques blessantes, des gestes de contrôle et des humiliations banalisées.
Il s'agit souvent d'une escalade discrète, presque invisible, qui piège la victime avant même qu’elle n’en prenne conscience.
"La violence débute souvent par des micro-violences passant par le harcèlement pour atteindre la violence physique", explique la psychologue.
A cette spirale, chaque femme réagit selon son histoire personnelle. Certaines ont grandi dans un environnement violent et reproduisent inconsciemment ce schéma. D'autres ont vu leur propre mère subir les coups et les cris — un phénomène que Farah Tarhouni qualifie de "traumatisme vicariant", où la mémoire de la violence se transmet sans être vécue directement.
S’il me frappe, c’est qu’il tient à moi
Plusieurs femmes victimes de violences associent l’amour à la douleur.
"Il existe cette croyance erronée selon laquelle la violence serait une preuve d’amour. Certaines femmes pensent sincèrement qu'en les frappant leurs partenaires expriment leur amour.
Ce mécanisme trouve souvent racine dans un environnement où les modèles affectifs violents ont été banalisés, reproduits ou jamais remis en question. "On intériorise des modèles et on les suit", ajoute-t-elle.
C’est dans ce contexte que s’installe ce que les spécialistes appellent le cycle de la violence conjugale, a indiqué Tarhouni avant d'expliquer :
"Le cycle de violence se déploie en quatre étapes : l’accumulation des tensions, l’explosion de la violence, les excuses, puis la fameuse lune de miel, cette phase de tendresse apparente où l’agresseur se montre attentionné.
Ce moment, aussi court soit-il, vient tout bouleverser car même quand elle décide de partir, la femme battue s’attache au peu d’amour qu’elle reçoit après l’agression.
"Ce système de punition-récompense la piège dans la relation", souligne Farah Tarhouni. Un attachement émotionnel toxique qui brouille les repères, jusqu’à faire croire qu’il vaut mieux rester… que d’affronter le vide.
Le poids de la société
Famille, regard des autres, peur du scandale ou de la solitude : autant de barrières qui poussent de nombreuses femmes à rester, à faire semblant, à « sauver les apparences ».
Farah Tarhouni évoque ce qu’elle appelle l’incapacité acquise : « À force de subir des abus, la victime perd peu à peu ses moyens psychologiques. Elle n’arrive plus à se défendre, ni même à imaginer une porte de sortie. Elle devient passive, résignée. »
Parfois même la culpabilité s’installe. Et certaines femmes finissent par se blâmer, chercher des justifications à l’homme qui les fait souffrir.
Rappelons que 30 femmes ont perdu la vie en 2024 sous les coups de la violence et tant que la société tolérera, minimisera ou ignorera ces violences, d’autres vies seront brisées.
Dorsaf Lâameri